Troisième partie - Chapitre 8 - Paragraphe 3/14
Mais cette reprise relativement rapide ne doit pas faire oublier les difficultés sociales de l’année 1919. Le retour des mobilisés, les quatre années de privations que la population veut compenser au plus vite, la fin de l’”Union Sacrée”, le quadruplement du coût de la vie par rapport à 1914, l’hiver rigoureux de 1918-1919, redonnent à la question sociale tout son poids. Dans l’euphorie du triomphe, le gouvernement ne peut faire autrement que de donner satisfaction à une classe ouvrière qui a payé de son sang une bonne part de la victoire. Elle obtient ainsi la journée de huit heures, l’une de ses plus constantes revendications.
A Roubaix-Tourcoing cependant, on adopte la semaine anglaise, c’est-à-dire 48 heures en cinq jours et demi, soit environ neuf heures par jour plus trois ou quatre le samedi matin. Le samedi après-midi est chômé. La Chambre Syndicale des ouvriers du textile, affiliée à la CGT, avait réclamé, outre la journée de huit heures qui avait été accordée, un salaire horaire de 2 francs pour les ouvriers qualifiés, de 1,5 francs pour les spécialisés et surtout la reconnaissance de la légitimité des syndicats ouvriers par les syndicats patronaux.
Mais dans l’immédiat, en janvier - février 1919, avant que les fabriques ne commencent à fonctionner, la situation est tragique. DRON, se souvenant des promesses de POINCARÉ et CLÉMENCEAU, envoie un télégramme à ce dernier, président du Conseil, réclamant une aide rapide, promise mais toujours attendue par « une population indignée ». Si le 1er mai, journée traditionnelle des manifestations ouvrières, se déroula dans le calme, des incidents mineurs éclatèrent dès la fin de l’année : grèves dans le bâtiment en octobre, dans quelques filatures de laine en novembre. Ces mouvements retombent vite après obtention du rehaussement des salaires, seule et unique revendication.
C’est dans le but de régler les questions salariales et autres revendications qui ne tarderont pas à se poser rapidement, que dès la fin du conflit, le roubaisien EUGÈNE MATHON -encore un adversaire irréductible de DRON- met sur pied la “Commission Intersyndicale de l’Industrie Textile de Roubaix - Tourcoing”. La direction en est offerte à DÉSIRÉ LEY, ancien ouvrier de Roubaix mais qui affiche une mentalité de patron paternaliste et autoritaire déjà anachronique. Si la philosophie de ces deux hommes, qui est de traiter les ouvriers avec justice et bienveillance, aurait pu les rapprocher de DRON, les intérêts qu’ils défendent obstinément et leur haine du syndicalisme ouvrier en font leur adversaire. À côté de cette commission syndicale, MATHON organise le “Consortium de l’Industrie Textile de Roubaix - Tourcoing”, organisme de gestion des oeuvres sociales que le patronat supervise, telle que l’allocation familiale. La rigidité des ces deux organismes, leur refus de toute discussion avec les syndicats chrétiens ou cégétistes entraîneront les grèves et les heurts sociaux les plus profonds que Roubaix, Tourcoing et surtout les villages aux alentours, aient jamais connus. Car les deux villes jumelles, que nous vu précédemment se suivre plus ou moins efficacement dans les mouvements de grève de l’avant-guerre, sont désormais soeurs de lutte. Elles répondent mutuellement l’une à l’appel de l’autre, donnant ainsi plus de poids et d’ampleur à leurs manifestations.
DRON traversera ces années de durcissement des conflits sociaux, jusqu’à l’avènement du Cartel des Gauches, sans être impliqué au premier chef en tant que maire de Tourcoing. Cela joua-t-il peut-être un rôle sur la réélection de 1925, quand une bonne part des électeurs reviendront au “dronisme”.
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Mémoire de Maîtrise en histoire contemporaine politique
de l’Université de Lille 3.
Octobre 1988