GUSTAVE DRON (1856-1930)

Député-maire de Tourcoing, sénateur du Nord

Troisième partie - Chapitre 7 - Paragraphe 2/12

La mobilisation

Peu nombreux étaient à Tourcoing ceux qui imaginèrent les conséquences de l’assassinat du prince héritier d’Autriche à Sarajevo le dimanche 28 juin 1914. Tandis qu’à Paris JAURÈS déploie toute son énergie à éveiller les consciences devant le péril de la guerre, à Tourcoing, l’intérêt pour les affaires locales l’emporte sur celui des affaires internationales. On y discute de la récente victoire de GUSTAVE DRON aux élections sénatoriales engagées suite au décès du sénateur SCULFORT. Il a l’avantage sur un rival radical - mais soutenu par la droite - et sur le socialiste GUSTAVE DELORY, en obtenant 1.257 voix sur 2.470 votants. Ainsi DRON se voit consolé de sa défaite aux législatives de mai par son entrée au Sénat, mais cinq semaines avant la grande déflagration. Il marque sa victoire en donnant une fête dans la salle du gymnase. Salle qu’il avait par ailleurs refusée quelques semaines plus tôt aux jeunesses socialistes...

On chuchote au sujet des prochaines festivités du 14 juillet, pour lesquelles la municipalité ferait des frais ; la ville sera illuminée par 8.000 lampes électriques, presque trois fois plus que les années précédentes. Malgré les rumeurs sinistres, l’ambiance estivale de Tourcoing reste à l’insouciance. Le dimanche 26 juillet, le cirque de la Place des Halles attire toujours des spectateurs en nombre, les estaminets ouverts tard dans la nuit ne désemplissent pas et l’on parle de ce cinéma, “Le Splendide” qui devrait ouvrir rue des Anges, le samedi 1er août...

Puis tout s’accélère : déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie le 28 juillet, mobilisation générale en Russie, en Autriche, en Belgique. Le vendredi 31 juillet, à 21h40, c’est JAURÈS qu’on assassine et, avec lui, la paix de l’Europe. Et c’est ce samedi 1er août, à 16h12 très précisément, qu’apparaît au bureau des Postes l’affiche blanche aux drapeaux tricolores, tandis qu’à Berlin, l’État-Major allemand déclare la guerre au Tsar de toutes les Russies. Et le son grave du bourdon de Saint-Christophe de rameuter la population. Ce soir-là, il n’y aura pas de séance au “Splendide”...

À Tourcoing, pas d’enthousiasme exacerbé pour le départ. La municipalité, qui avait déjà reçu quelques jours auparavant ordre du préfet d’envisager la réquisition des chevaux et des voitures, souligne le « calme et le sang-froid » de la population qui vivait les dernières heures de paix. Des groupes se forment devant l’Hôtel de Ville qui arbore le drapeau national, et parfois quelques hommes entonnent la Marseillaise. La mobilisation générale n’est pas la guerre, mais la foule reste grave, même si l’espoir d’un conflit court atténue le chagrin de la séparation.

Le lendemain, dimanche 2 août, GUSTAVE DRON fait afficher une proclamation ferme et rassurante :

« Puisque notre volonté formelle de maintenir la paix entre les peuples se heurte à des provocations, à des calculs de conquêtes et de rapines, regardons en face l’ennemi héréditaire ! Montrons-lui tout ce qu’il y a de vigueur et de vitalité dans notre race quand il faut lutter contre l’envahisseur. La Patrie est en danger, que tous les Français soient debout pour la défendre ».

Cette déclaration tranchée devait être commentée dans la “Gazette de Cologne” où les commentateurs la considèrent comme une provocation belliqueuse. Il est vrai que DRON ne cacha pas son attachement aux valeurs républicaines de patriotisme et de défense du sol national, avec cette allusion à 1792, la “Patrie en danger” chère aux coeurs républicains. Mais il ne fut jamais de ces patriotes “revanchards”, trop conscient de par son apostolat de la misère et des horreurs engendrées par la guerre.

Ce même jour, les premiers mobilisés encombrent la gare, qui fourmillera pendant plusieurs jours. Les familles accompagnent ceux qui partent, les scènes émouvantes se multiplient, la presse en témoigne :

« ... tous ont les yeux mouillés par les larmes... ».

L’historien JEAN-JACQUES BECKER a très fidèlement décrit le sentiment moyen des Français durant ces dernières heures de la paix : « entre la consternation et l’enthousiasme, mêlant la résignation au sens du devoir ». [1]

La suite est connue : le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France et à la Belgique, qui a refusé de laisser passer les armées allemandes. Le 5 la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne. Le 6, c’est l’Autriche-Hongrie à la Russie. Enfin le 12, la France et la Grande-Bretagne à l’Autriche-Hongrie. Le conflit est devenu mondial. À Lille-Roubaix-Tourcoing, certains journaux exultent et prennent un ton revanchard.


[1in “1914 : comment les Français sont entrés dans la guerre”.

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Dans ce chapitre :


gustave DRON

Mémoire de Maîtrise en histoire contemporaine politique
de l’Université de Lille 3.
Octobre 1988

auteur

Bruno SIMON

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