Seconde partie - Chapitre 6 - Paragraphe 2/14
Depuis ses débuts à l’Assemblée Nationale, DRON s’est acharné à défendre les femmes et les enfants. Nous l’avions vu, en 1896, proposer la réduction du travail des femmes et des enfants, rejetant l’idée de la journée de huit heures de GUESDE et VAILLANT, non pas par conservatisme, mais par volonté de faire accepter par le Sénat une proposition moins révolutionnaire qui ait des chances d’aboutir. Son projet de loi devient la loi du 30 mars 1900 instituant la journée de dix heures pour les femmes et les enfants mineurs. Certes le monde des industriels ne manque pas d’imagination ni de ressources judiciaires pour ne pas appliquer la loi à la lettre, mais néanmoins elle marque un trop net progrès dans la législation sociale pour ne pas la signaler ni reconnaître la participation de GUSTAVE DRON dans son élaboration.
En 1898 avait été voté la loi du 9 avril sur les accidents du travail qui avait été « assez favorablement accueillie par le monde industriel » [1]. Dès 1901, DRON se fait entendre au cours de discussions tendant à modifier cette loi. À partir de 1902, alors réélu, c’est en tant que membre de la Commission du Travail qu’il continue de prendre part à ces propositions de lois, jusqu’en 1905. Luttant contre un patronat qui voit d’un mauvais oeil le réformisme social qu’il défend.
La Chambre de Commerce de Tourcoing propose au contraire de ne rembourser les frais médicaux que sur une base forfaitaire, de ne pas laisser à l’ouvrier le choix du médecin, qu’il soit autorisé aux juges le refus des indemnités pour les ouvriers en incapacité de moins de 10% et qui restent capables de travailler, que l’assistance judiciaire ne leur soit pas accordée systématiquement [2].
Nous comprenons que toutes ces requêtes vont à contre-courant de celles que DRON soutient à l’Assemblée.
Sans oublier que c’est en conséquence des grèves de 1903 et 1904 qu’est institué la Commission d’enquête sur l’industrie textile, dont les investigations nous renseignent sur le monde du travail au début du siècle. GUSTAVE DRON faisait partie de cette Commission, tout comme le député du Tarn JEAN JAURÈS. Quelques mois avant la remise des conclusions de l’enquête, il prend la parole le 6 décembre 1904 pour adresser une question à M. le ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes, GEORGES TROUILLOT. Il demande que les inspecteurs du travail soient autorisés à contrôler l’application de la loi du 7 mars 1850, sur le tissage à domicile :
« En 1850, l’inspection du travail n’existait pas ; on ne pouvait pas confier à des inspecteurs qui n’étaient pas nés le soin d’appliquer la loi. Nous pouvons le faire aujourd’hui. Les inspecteurs du travail, dont nous apprécions tous l’activité et la compétence, ont déjà une lourde tâche à remplir ; ils ont à appliquer la loi [...] de 1892 sur le travail des femmes et des enfants, celle de 1893 sur l’hygiène dans les usines et dans les ateliers, celle de 1898 sur les accidents et les quelques lois nouvelles que nous avons ajoutées en 1902 et 1903. [...]
Il suffirait, par conséquent, monsieur le ministre, d’ajouter à la loi de 1850 un article additionnel donnant aux inspecteurs du travail le droit de faire exécuter cette loi (Très bien ! Très bien ! à l’extrême gauche et sur divers bancs à gauche), leur donnant le droit d’accès dans les locaux où se fait le travail (Très bien ! Très bien ! sur les mêmes bancs à l’extrême gauche et à gauche) [...]
Je suis convaincu que la Chambre et le Sénat se feront un devoir de seconder votre initiative et s’empresseront de faire en sorte que cette loi devienne une réalité avant la fin même de cette année. (Applaudissements à gauche et à l’extrême gauche). ».
En effet, de récentes grèves à Bailleul et à Hazebrouck ont mis à jour les abus des patrons du textile envers les les tisserands de cette catégorie - à domicile -, ainsi que la non intervention des représentants du gouvernement, préfets et sous-préfets.
Cette dernière remarque permet à quelques députés de droite, HENRY FERRETTE, JOSEPH LASIES, HYACINTHE GAILHARD-BANCEL, le comte ROBERT de POMEREU, d’attaquer le gouvernement en passionnant le débat. Pendant que les députés adverses règlent leurs comptes, DRON s’efface, comme il le fait souvent dans les discours purement politiques ou polémiques, pour reprendre la parole alors que l’on s’éloigne du sujet et faire voter ses articles de propositions de loi. Nous le voyons toujours plus technicien que polémiste. Nous remarquons en outre que dans son énoncé des principales lois, à l’application desquelles doivent veiller les inspecteurs, bon nombre d’entre elles sont nées de sa propre initiative !
[1] Jacques Ameye, in “Le patronant tourquennois devant la question sociale au début du XXe siècle” dans la revue historique “Tourcoing et le Pays de Ferrain” n°103
[2] Annales de la Chambre de Commerce de Tourcoing, 1908, pp. 140_155.
Version imprimable
Mémoire de Maîtrise en histoire contemporaine politique
de l’Université de Lille 3.
Octobre 1988