GUSTAVE DRON (1856-1930)

Député-maire de Tourcoing, sénateur du Nord

Bureau de Bienfaisance de Tourcoing - L.L - Médiathèque municipale de Tourcoing
Accueil > Un homme, une ville > Une oeuvre de bienfaisance (...) > La protection des retraités, aliénés et (...)

Seconde partie - Chapitre 6 - Paragraphe 6/14

La protection des retraités, aliénés et infirmes

Depuis les débuts de la IIIe République, la Chambre voit régulièrement à l’ordre du jour des propositions de lois destinées à créer un régime obligatoire de retraites ouvrières. La première proposition avait été rapportée par les députés CHARLES FLOQUET [1] et MARTIN NADAUD en1879. Les résistances sont telles qu’en 1901, alors que l’on en est encore qu’à l’article premier, la droite obtient de la Chambre que soient consultées toutes les associations professionnelles, syndicats et chambres de commerce.

La chambre de commerce de Tourcoing dénonce, comme la plupart des chambres de commerce de France, cette « injustice sociale », cette « atteinte à la liberté individuelle » et cette « accumulation dans les caisses de l’État de capitaux ». L’industriel CHARLES FLIPO, grand adversaire de GUSTAVE DRON qui lui se bat pour cette institution, propose que le financement des retraites soit pris en charge par l’État et non par les ouvriers ou les patrons, car sinon « il ne restera bientôt plus en France que des ouvriers sans travail et des patrons ruinés, s’unissant pour réclamer à l’État , leur bourreau, le pain de leurs vieux jours. » [2].

Après cinq ans d’oubli, la loi est rediscutée en 1906 et transmise au Sénat. Revenue défigurée par les amendements des sénateurs, elle ne sera votée que le 31 mars 1910 ! A l’unanimité de l’Assemblée des députés, DRON compris.

Le 22 janvier 1907, il dénonce, dans une discussion sur le régime des aliénés, la pratique commune des grandes villes d’envoyer dans des asiles d’aliénés les vieillards, que par souci d’économie, elles ne veulent plus soigner dans leurs hospices. Ceci a pour conséquence de surcharger les effectifs dans les cliniques psychiatriques en y mêlant malades mentaux, curables ou non, et simples vieillards abandonnés, pour qui il n’y a guère de traitement :

« [...] voilà comment un homme, dont l’esprit est dérangé, suivant l’expression ancienne ; il n’a pas de famille pour le garder : le maire ne sait qu’en faire. Il faut bien qu’il s’en débarrasse. Comment ? En l’envoyant à l’asile. On s’ingénie donc à forcer la main aux préfets pour des internements pas toujours très justifiés [...] à l’asile d’aliénés, le département intervient pour une forte part qui diminue d’autant la contribution de la commune tandis qu’à l’hospice communal, la commune supporte toute la charge. ».

De plus, cette surcharge nuit au travail des médecins dont l’efficacité diminue en proportion inverse du nombre d’internés : « les aliénés internés dans de tels asiles sont des malades gardés, ce ne sont pas des malades soignés. Voulez-vous que ces malades soient soignés ? Désencombrez vos asiles. ».

Il cite quelques chiffres qu’il peut prétendre connaître puisqu’il est, comme il le dit lui-même, mêlé à l’administration des deux grands asiles du Nord, ceux de Bailleul et d’Armentières. Il sera par la suite président du Conseil d’administration de l’asile d’Armentières. Selon lui, le taux de guérison dans les asiles français est en gros de 6% alors qu’il est de 18 à 20% en Allemagne. DRON reste fidèle à sa vieille habitude de comparer l’état de la législation et de la société française à celui de notre voisin allemand. D’autre part, pour le traitement des vrais aliénés, il propose de généraliser la sortie d’essai, que la loi entend instituer et accompagner d’une allocation. DRON défend cette idée sans faiblesse :

« Si par conséquent, la commune et le département paient à l’asile 1 fr. ou 1,25 frs. par jour pour le séjour d’un aliéné, celui-ci, quand il est en situation de sortie provisoire doit toucher 1 fr. ou 1,25 frs. et il est nullement utile d’attendre que le médecin, le directeur, ou la commission lui attribuent, suivant leur caprice ou leur fantaisie, telle ou telle allocation. (Très bien ! Très bien !) ».

Mais il ne s’arrête pas là et envisage toujours les lois dans leurs conséquences pratiques, concrètes. Que deviendra le convalescent livré à la ville et au monde du travail ? Il est évident qu’aucune place ne lui sera faite et que sa guérison en sera compromise.

Alors il interrompt une fois de plus le débat pour proposer « un organisme essentiel, indispensable à la protection de l’aliéné convalescent : [...] des sociétés de patronage. Leur rôle sera d’organiser dans tous les centres importants des oeuvres d’assistance par le travail, afin de donner à l’aliéné qui est en situation de sortie provisoire un travail approprié à son état de santé encore précaire. Elles auront à assurer plus tard le placement définitif de l’aliéné. Ces société existent bien, je le reconnais, mais elles ne sont qu’à l’état embryonnaire. ».

En mars 1907, il adresse une question au ministre de l’Intérieur, à laquelle le sous-secrétaire d’État ALBERT SARRAUT donne satisfaction :

« La question à laquelle M. le sous-secrétaire d’État de l’Intérieur veut bien répondre, présente, messieurs, un réel intérêt. Elle est relative à l’application de la loi du 14 juillet 1905 sur l’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables privés de ressources. Il était indispensable que la question fût posée. [...] En effet, [...] à l’heure actuelle, le nombre de vieillards qui ont pu en bénéficier est sinon nul, du moins très restreint... ».

Cette loi, qui devait prendre effet au 1er janvier 1907, accordait la jouissance d’une allocation pour les vieillards et sans ressources admis sur les listes de l’Assistance Publique. Cependant, elle restait incomplète, ne précisant ni le caractère rétroactif des allocations, ni la qualité de ses bénéficiaires.

« Telles sont les questions bien nettes et bien précises que j’ai l’honneur de poser à M. Le sous-secrétaire d’État : l’une est relative à la date d’application de la loi, l’autre concerne l’âge à partir duquel les infirmes et les incurables seront admis à figurer sur la liste d’assistance. (Applaudissements à gauche et sur divers bancs) ».

C’est en procédant minutieusement, en parfaite connaissance des lois, en posant comme il le dit lui-même, des questions nettes et précises, qu’il s’efforce de faire progresser la législation sociale, témoignant d’une grande intuition des lois qu’il prétend aménager, d’une précision remarquable dans le détail des amendements et projets qu’il dépose. Car bon nombre de lois socialement avancées votées par la République étaient volontairement laissées dans le flou et restées sans application, soit par opportunisme des modérés soit par résistance des conservateurs. Au fil des pages relatant ses discours, se dégage ce sentiment d’une volonté farouche de rendre ces lois applicables en dégageant les points restés obscurs, en renvoyant et les députés et les membres du gouvernement face à leurs responsabilités. Responsabilités que beaucoup et à gauche comme à droite préfèrent oublier, se complaisant dans les discours purement politiques et polémiques.


[1CHARLES FLOQUET (1828-1896). Président du Conseil en pleine crise boulangiste, il blessa le général BOULANGER en duel (1888). Impliqué dans le scandale de Panama.

[2Jacques Toulemonde, in “Naissance d’une métropole : Roubaix et Tourcoing au XIXe siècle”, op. cit.

Version imprimable

Dans ce chapitre :


gustave DRON

Mémoire de Maîtrise en histoire contemporaine politique
de l’Université de Lille 3.
Octobre 1988

auteur

Bruno SIMON

Avertissement

MENTIONS LÉGALES

Le contenu de ce site est sous licence Creative Commons :

Creative Commons BY-NC-SA